TOTO.
- « J’ose pas. J’ose pas t’écrire
parce que l’encre me fige. J’ose pas allumer la lumière par peur de ne voir que
toi. J’ose pas t’approcher : tu pourrais sentir l’essence que j’ai mis sur
mon palpitant. J’ose pas parler des fois qu’un mot irait tout raconter. J’ose
pas rougir. J’ose pas bleuir. J’ose pas rosir. Finalement, je reste dans le
noir et je croise les doigts pour que tu m’oses. C’est la seule chose que je
m’osaurise. » (Fragment XI)
LOLO.
– Dis ? Elle rigolait, Juliette, aux histoires de Roméo ?
MAX.
- Pourquoi ?
LOLO.
- C’est un bon point si Lola, elle rit à mes blagues ?
MAX.
- Pas sûr qu’ils rigolaient beaucoup tous les deux.
LOLO.
- Enfin, moi, elle se marre même quand je n’en fais pas.
MAX.
- Ca c’est moins bon. Tu sais ce qu’on dit : « Femme qui rigole trop
voit Quasimodo ».
MAX - Regarde-moi
ça, Lolo… Cette espèce de monde qui fout
le camp. Tout est faux ici. Archi-faux ! L’amitié, l’amour. Tout ça, c’est
plastoc. C’est inventé. Faut le vouloir tellement fort pour que ça existe. Même
les jumeaux, ici, ils sont faux. Tu seras mieux comme ça, mon Lolo. T’auras
moins mal. (Fragment XIX)
L’auteur
Mathieu
Beurton est un jeune auteur, metteur en scène, comédien et ancien professeur de
lettres.
Son style mélange humour et tragédie. Les thèmes qu’il choisit sont
quotidiens mais toujours déformés par le prisme de sa poésie. Les jeux de mots,
les figures de style et les champs lexicaux qui parcourent ses textes appellent
le public à pénétrer dans son imaginaire.
Les êtres de papier qu’il explore renvoient le spectateur à son propre
reflet, comme un miroir déformant. S’y perdre et s’y retrouver…
Avec Face Aux Murs,
Mathieu Beurton s’attaque à la tragédie pour la détourner et se l’approprier.
Entretien
Pourquoi avoir donné à la pièce le
sous-titre de « tragédie minable » ?
Quand j’ai écrit Face Aux Murs, je voulais me
pencher sur le genre tragique. Je me suis demandé à quoi pourrait ressembler
celle qui s’écrirait aujourd’hui. Le modèle, en France, c’est la tragédie
classique qui met en scène des personnages nobles dont les actes sont dictés
par les Dieux. De nos jours, ces repères sont obsolètes : la noblesse n’a
plus de réel statut social et la croyance en Dieu est en pleine crise. Alors,
j’ai voulu anoblir des personnages comme Lolo, qui sont des êtres nobles à mes
yeux même s’ils ne sont pas reconnus socialement, et j’ai remplacé Dieu par
l’instinct humain, qui est pour moi cette part de nous qu’on ne contrôle pas.
« Minable » c’est donc en réponse à « Classique » et une
forme de provocation : les héros de Face
Aux Murs ne sont-ils pas aussi honorables que Phèdre ou Oreste ?
Que signifie pour vous « le meuh » de Toto ?
Le beau-père de Toto lui a appris à extérioriser
toutes ses émotions refoulées en imitant le meuglement de la vache jusqu’à le
hurler. J’ai choisi cet animal car pour moi il est peureux et ne soupçonne pas
sa force, comme toutes ces personnes qui se croient petites alors qu’elles sont
d’une humanité et d’une poésie gigantesques.
Un
chantier. Deux amis qui refont le monde. Des faux jumeaux qui n’ont, en
apparence, rien à se reprocher. Et une femme…
Lolo
et Max sont deux amis qui travaillent sur un chantier.
Enfin
travailler est un bien grand mot car ils passent la majorité de leur temps à
discuter de leur vie et à boire plutôt qu’à construire des murs.
Parfois,
ils croisent Titi et Toto des faux jumeaux qui acheminent le matériel sur le
chantier. Ces deux-là n’ont pas la langue dans leur poche et s’amusent souvent
à jouer des tours pour détourner l’attention.
Au
milieu de ces hommes évolue Lola, la seule femme du chantier et la fille du
patron.
Tout
ce petit monde vit sur un équilibre fragile qui va peu à peu s’écrouler…
NOTE D’INTENTION : Un spectacle burlesque et poétique
Le décor est suggestif : une bobine, un bidon, quelques parpaings…
Puis la poésie entre en scène avec un mur en construction qui n’est fait que de cartons… La pelle de Max qui devient tour à tour Lola le temps d’un tango, une arme mortelle, un instrument de musique ou un simple outil.
Des
transitions burlesques ou oniriques lient les
fragments en rappelant les films muets de Keaton et sont soutenus par une musique manouche qui véhicule
une mélancolie joyeuse.
L’éclairage
très lumineux et dur du début va peu à peu s’assombrir laissant place à la tragédie.
Les dialogues imagés sont dits
avec naturel laissant le
spectateur les recevoir comme une parole comique, poétique ou réflexive...
L’ensemble
donne un spectacle étonnant où la poésie côtoie le rire, les larmes,
la peur et le
questionnement sur soi.
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